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À l'esprit modeste.
Par un sot vulgaire incompris,
Quoiqu'un parfum soit sur ta trace,
Digne fils de savante race,
Pour un ignorant souvent pris,
Ô le plus charmant des esprits,
Esprit modeste, dont la grâce
N'a rien en soi qui l'embarrasse,
Tu laisses deviner ton prix.
Ta pensée attend qu'on la cueille.
La modestie est sous sa feuille
L'arbre qui nous cache son fruit ;
La beauté qui, naïve et sage,
Passe à côté de nous sans bruit,
Un voile mis sur son visage.
Évariste Boulay-Paty.( 1851 )>
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Les faveurs.
Sans titre magnifique et sans habit doré,
L'homme grand par l'esprit, le cœur ou la science,
Comme un titre sur lui porte sa conscience,
Et de son propre nom il se croit décoré.
Assez, par ce qu'il vaut, à ses yeux honoré,
Il a des vains honneurs la digne insouciance.
Il marche à l'avenir, ferme avec patience,
Noble être sous l'habit d'un vulgaire ignoré.
Eh ! que peuvent lui faire à lui ces dons stériles,
Ces faveurs, le désir des âmes puériles,
Que l'aveugle pouvoir laisse au hasard tomber ?
Faux talent, baisse-toi, prends-les, amasse, amasse,
Car le mérite vrai jamais ne les ramasse ;
Il est trop droit, trop haut, trop fier, pour se courber.
Évariste Boulay-Paty. (1851)
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Jeune et vieux.
Enfant charmant à voir,
Et couronné de roses,
Je montre aux cœurs moroses
Ce qu'ils voudraient avoir,
Je cours, matin et soir,
Après les belles choses,
Papillons blancs et roses,
Je suis le jeune espoir !
Vieillard à la voix tendre,
Que chacun aime entendre
Et cherche à retenir,
J'entre au seuil, et, doux hôte,
Je rends ce que l'âge ôte,
Je suis le souvenir !
Évariste Boulay-Paty.
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La vieillesse.
Ah ! le corps seulement, barque usée à la lame,
Vieillit et se déjoint, et sombre avec effroi ;
L'âme, sa passagère, au bord nage avec foi ;
L'âme ne périt point, bien haut tout le proclame.
Ô ma mère, foyer dévoré par ta flamme,
Que je fus convaincu de l'éternelle loi
De notre humanité, quand je voyais en toi
La vieillesse du corps, la jeunesse de l'âme !
Sous tes vieux ans mon œil trouvait sans s'étonner
Les jeunes sentiments, je sentais bouillonner
La sève de ton cœur sous ta chétive écorce.
Au dehors, au dedans te regardant toujours,
Je pleurais, j'admirais le mystère des jours :
Le corps dans sa faiblesse et l'âme dans sa force !
Évariste Boulay-Paty.( 1851 )
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Les cheveux blancs
Enfant, tes jours sont gais, les miens sont monotones.
En deux saisons pour nous se partage le temps ;
L'année a beau changer, je n'ai que des automnes,
Toi seule as des printemps.
Tout de mon cœur se ferme et du tien tout s'épanche.
S'il te faut des bonheurs que Dieu prenne les miens ;
Je ne me plaindrai pas de ceux qu'il me retranche
S'il les ajoute aux tiens.
Il m'enlève un sourire, il t'apporte une grâce.
L'air qui te rafraîchit me donne des frissons ;
Tu vas avoir neuf ans ; oh ! comme le temps passe,
Et comme nous passons !
Ton âge te rend fier et le mien me fait honte :
Les ans pour moi sont lourds, ils ne te pèsent rien,
De peur d'en perdre un seul à ton âge on les compte ;
On les oublie au mien.
L'astre de l'enfant dort au milieu de l'espace,
L'astre de l'homme vole ainsi qu'un tourbillon ;
Heureux si dans l'azur il laisse, quand il passe,
Un lumineux sillon !
On naît jeune, par tous cette mode est suivie ;
Avec ses doux printemps on fait des envieux ;
Il semble qu'à rebours j'ai commencé la vie
Et que je suis né vieux.
Je suis tout gris, hélas ! mais sans que mon front penche.
J'étais, presque à trente ans, le vieillard que tu vois,
Et je n'avais de jeune, avec ma tête blanche,
Que l'esprit, que la voix.
Lorsqu'on ne trouve en soi rien de sec, rien d'aride,
On se croit jeune encor, de front comme de cœur,
Jusqu'au jour où le temps vient, au fond d'une ride,
Poser son doigt moqueur.
Ton sourire est charmant de candeur et de grâce.
Je fais, pour l'imiter, des efforts superflus ;
N'est-ce pas que le mien est comme une grimace,
Une ride de plus ?
Quand pour toi chaque instant fait fleurir toutes choses,
De mes jours sans parfums que ton âme ait pitié,
Mais ne me jette pas ainsi toutes tes roses ;
C'est trop de la moitié.
Garde-moi, c'est assez pour une vie amère,
La dîme des bonheurs qu'on goûte auprès de toi :
Quand tu voudras donner dix baisers à ta mère,
Que l'un d'eux soit pour moi !
Delphis de La Cour. ( 1867 )